Cela fait des années que «la légalisation» du cannabis est sortie du domaine du tabou pour faire l’objet d’un débat national. Le fait que le Maroc va adhérer à la recommandation de l’OMS sur la «reclassification» du cannabis et de ses produits dérivés a laissé croire qu’il a pris une sérieuse option pour aller vers la «dépénalisation» ou la «décriminalisation» de la consommation. Qu’en est-il vraiment? Explications avec Pr Jallal Toufiq, Directeur de l’Observatoire marocain des drogues et addictions (OMDA) et membre de la Commission nationale des stupéfiants (CNS).
Les vertus thérapeutiques du cannabis
Pour la première fois depuis l’adoption de la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est en train de changer de position sur le cannabis et les substances apparentées.
Elle a appelé son Comité d’experts sur la dépendance à procéder à un examen critique de la classification dont font objet actuellement le cannabis et les substances liées.
Dans ce cadre, la Commission nationale des stupéfiants (CNS) a tenu, mardi 11 février à Rabat, une réunion de coordination pour étudier les recommandations de l’OMS sur le cannabis et les substances apparentées, notamment ses vertus thérapeutiques et médicinales.
Une réunion qui a laissé croire que le Maroc a engagé, pour une fois, un débat pragmatique sur cette plante dont le destin est intimement lié à la région du Rif marocain. Mais, la vérité est autre.
Sur les pas de l’OMS
En tant que membre de la Commission des stupéfiants des Nations Unies, le Maroc est appelé à voter lors de la 63e session ordinaire prévue à Vienne du 02 au 06 mars, les recommandations de l’OMS afférentes au cannabis et substances liées. Mais que va voter le Maroc?
Selon le directeur de l’OMDA, Jallal Toufiq, cette réunion de la CNS entre dans le cadre de la préparation de la position du Maroc. Or, l’adoption des recommandations de l’OMS ne veut en aucun cas dire qu’on va vers «la légalisation», a-t-il souligné.
«L’essentiel de ces recommandations est de dire à la communauté internationale que le Tétrahydrocannabinol (THC) –principale molécule active au cannabis– a des vertus thérapeutiques», a-t-il expliqué en soulignant qu’il s’agit du «THC fabriqué pour des raisons médicales et thérapeutiques».
«Reclassifier le TCH et le mettre dans le tableau 1 plutôt qu’au tableau 4, ne veut pas dire dépénaliser», a-t-il noté.
«C’est une erreur de perception et de compréhension d’un certain nombre de médias», a-t-il indiqué faisant allusion au cafouillage et l’amalgame suscité par la réunion de la CNS.
Il a tenu, dans ce sillage, a expliqué que la recommandation de l’OMS dispose qu’il «faut absolument que la partie THC ne dépasse pas 0,3%».
Pourquoi ne pas emboîter le pas d’autres pays?
Appelant à ne pas se leurrer quant à la légalisation dans les autres pays, Jallal Toufiq explique que des pays comme le Canada n’ont pas légalisé l’accès au cannabis, mais plutôt l’accès à un certain type de cannabis.
Selon lui, l’échec de la lutte contre la drogue et la perte de la grande bataille contre le trafic de drogue pendant les 40 dernières années a poussé certains pays a changer de modus operandi.
Ils ont estimé que la meilleure façon de pouvoir couper l’herbe sous les pieds de ces trafiquants est d’assécher les marchés. Et ce, en proposant un cannabis extrêmement faible en TCH de l’ordre de 0,3%, le vendre sur le marché à travers des franchises contrôlées par l’Etat avec des restrictions sur le marketing ou sur la publicité sur la vente, notamment, l’interdiction de vente aux moins de 18 ans ou aux moins de 21 ans comme c’est le cas dans un certain nombre d’Etats au Canada.
«Il ne s’agit pas de légaliser les joints fumés dans la rue qui sont à 27% de TCH», a-t-il signalé sur un ton qui ne manque pas d’ironie.
Et d’ajouter: «Ces pays ont donné la possibilité aux gens de fumer des joints extrêmement faibles en THC. Ils mettent l’argent que procure cette activité dans la prévention».
Qu’en est-il du Maroc?
Tout en tenant à souligner qu’il ne peut pas se prononcer en lieu et place des décideurs politiques ou du législateur, Jallal Toufiq explique que légaliser le cannabis sous-tend un certain nombre de prérequis.
«Il faut contrôler les superficies cultivées afin d’éviter que les franchises qui vont produire du cannabis avec des taux faibles de TCH soient concurrencées par les trafiquants qui vendent du cannabis à très forte dose de THC, lutter contre la contrebande et l’interdire pour les jeunes », a-t-il détaillé en considérant que «la faisabilité est extrêmement compliquée».
Sur la question: est-ce que le Maroc est prêt pour la légalisation? Pr Toufiq estime qu’il «ne faut pas aller plus vite que la musique».
«Il faut d’abord asseoir une politique de santé cohérente basée sur la prévention, sur la sensibilisation de la population générale. Il faut qu’on commence à penser au développement durable à substituer les cultures par d’autres», a-t-il conclu.